L’innovation universitaire : une force transformatrice pour l’économie canadienne de l’après-pandémie
Depuis le début de ce siècle et de la quatrième révolution industrielle, les universités se distinguent en tant que réseau du savoir, animées par une volonté d’interdisciplinarité, de collaboration et de transferts technologiques. La pandémie de COVID-19 a accéléré ce phénomène, et les universités peuvent désormais devenir des leviers essentiels de l’économie canadienne de l’innovation.
Sophie D’Amours
Chaque révolution technologique a été précédée par une crise mondiale majeure ayant donné lieu à des investissements publics importants. Et chaque fois, la répartition du pouvoir économique a changé.
Des changements technologiques transformeront notre société après les investissements massifs qui suivront la pandémie. C’est pourquoi nous devons encourager le développement d’une culture de l’innovation au Canada. Il faudra mieux souligner nos réussites et veiller à ce que les Canadiens et les Canadiennes soient fiers des nouvelles entreprises, fiers d’être les premiers dans un secteur, ou dans le peloton de tête. Cette culture de l’innovation, elle se construit avec les jeunes. Les collèges et les universités sont des environnements à très fort potentiel pour alimenter et renforcer cette culture d’innovation.
Une culture de l’innovation forte pourrait motiver davantage d’entreprises à investir dans la recherche et le développement (R-D). Les pays réputés être les champions du monde de l’innovation investissent plus de 3 % de leur produit intérieur brut (PIB) en R-D chaque année. Au Canada, les entreprises investissent peu et de moins en moins. Au cours des 10 dernières années, elles ont réduit leurs investissements d’environ un milliard de dollars. En 2018, au Canada, les investissements en R-D représentaient 1,6 % du PIB, et la portion financée par les entreprises s’élevait à 42,6 %. En comparaison, la part des investissements en R-D provenant des entreprises s’élève à 56 % en France, à 66 % en Allemagne et à 62 % aux États-Unis.
Au-delà de la nécessité d’investir davantage dans les entreprises afin de stimuler la résilience et la force de l’économie à la suite de la pandémie, il est peut-être nécessaire d’étudier si les outils fiscaux privilégiés par le Canada pour inciter les entreprises à investir, comme les crédits d’impôt, produisent réellement les bénéfices attendus.
L’Allemagne, Israël et la Suède, par exemple, incitent davantage leurs entreprises à participer à l’innovation dans le cadre de projets ciblés, de missions précises et avec une aide directe.
Nos alliés penchent vers une vision de l’économie et du monde de l’après-pandémie plus connectée (au plan numérique et au plan international), plus durable (tant du point de vue social que de l’environnement) et plus inclusive (égalité des chances). Le président américain, Joe Biden, a annoncé que 250 milliards de dollars seraient investis dans les activités de recherche de son pays au cours des prochaines années afin de stimuler la reconstruction, la création d’emploi et l’innovation. Du côté de la Commission européenne, l’ambitieux programme de financement de la recherche et de l’innovation Horizon Europe propose des occasions de collaboration sans précédent à cet égard. Le Canada doit leur emboîter le pas.
Nous devons investir pour que la prochaine vague d’innovation de rupture prenne naissance ici. Ce sont ceux et celles qui prennent des risques, qui font preuve de curiosité et qui s’efforcent de résoudre les problèmes qui nous mèneront là où nous ne pourrions même pas l’imaginer.
Produirons-nous des maisons ou des véhicules grâce à l’impression 3D? Les médicaments et des traitements seront-ils personnalisés? L’énergie sera-t-elle produite à la maison à partir de nos déchets? Tout porte à croire que ces innovations deviendront réalité dans les 10 à 15 prochaines années.
Au chapitre des connaissances, il est essentiel que les universités aient la capacité de mener des travaux de recherche, de faire des découvertes menant à l’élaboration de nouvelles technologies et de former les précurseurs des secteurs de l’avenir pour que les bienfaits de l’innovation se concrétisent.
Nous devons aussi investir dans la recherche fondamentale; celle qui nous mènera à la prochaine grande vague d’innovation transformatrice. Compte tenu de la vitesse à laquelle notre monde change, on peut facilement estimer que dans les 15 prochaines années, à l’échelle de la planète, nous ferons plus de découvertes que depuis le début de l’humanité. Quel rôle jouera le Canada dans cette évolution?
Au moment où s’amorce notre réflexion sur la vie après la pandémie, nous devrons rebâtir notre économie et faire des choix difficiles d’investissement. Des choix qui demanderont une certaine prise de risques parce que nous souhaitons augmenter la valeur de chaque emploi canadien sur les plans économique, social et environnemental.
Le virage numérique affectera de façon structurelle tous les secteurs d’activités au Canada. La contribution des universités à ce chapitre est garant d’une transition plus rapide et efficace. Le transfert des connaissances et la collaboration avec les organisations devront s’accélérer. La crise a également mis en lumière les faiblesses de chaînes de valeur critiques. Les secteurs concernés devront inévitablement s’adapter. Les universités serviront de levier à une relance rapide axée sur les possibilités de demain.
Nous devons profiter de la transformation de notre économie pour la rendre plus durable. La lutte contre les changements climatiques ne peut être évacuée. De plus en plus de pays doivent composer avec des dommages causés par les changements climatiques et payer d’importantes factures, qu’ils refilent ensuite à leurs citoyens. L’engagement des universités canadiennes et de leur chercheurs pourrait permettre au Canada de concevoir des technologies propres et enrichir les connaissances nécessaires pour mitiger les risques de dommages et réduire les émissions de gaz à effet de serre à la source. Nous devons absolument réfléchir à notre rôle, sachant que l’Union européenne consacrera 30 % de son gigantesque plan de relance à la lutte contre les changements climatiques.
Nous devons aussi nous attarder à l’inclusion. Il est évident que certains groupes et secteurs sortiront affaiblis de la crise de la COVID-19. Les travailleurs et travailleuses de nombreux secteurs devront s’adapter à la nouvelle économie, et des efforts particuliers seront nécessaires pour qu’ils y aient accès. Il faudra en outre continuer de former des gens curieux et compétents pour relever les défis que le monde nous réserve.
Les investisseurs étrangers privilégieront les pays ayant une main-d’œuvre compétente et d’excellentes capacités en matière de recherche, de développement et d’innovation. La course aux personnes talentueuses sera la ruée vers l’or des années 2020. Sans ces personnes hautement qualifiées, la prospérité dans l’après-pandémie est inatteignable. Il s’agit d’un pilier distinctif canadien, qui mérite toute notre attention. Former plus et mieux, par et pour la recherche et le développement, est une condition sine qua non d’un avenir prospère.
Si nous voulons contribuer aux transitions à venir, nous devons aussi favoriser l’interdisciplinarité pour mieux comprendre les enjeux d’acceptabilité éthique et sociale. Trop souvent, des projets importants tombent à l’eau parce que nous sous-estimons l’importance de la contribution des sciences humaines. Pourtant, l’innovation ne se limite pas aux technologies. Elle est le fruit de la créativité humaine, de relations humaines fructueuses et de la volonté collective de régler des défis de société.
Quel rôle joueront les universités dans cette reprise socioéconomique à valeur ajoutée? Elles tisseront des liens avec leur collectivité.
Une université a toutefois très peu de moyens pour valoriser ses brevets, ses innovations et ses recherches en partenariat. Elle a peu d’outils et de financement pour soutenir ses relations avec les entreprises. Les universités canadiennes peuvent maintenant utiliser la plateforme COGNIT (www.cognit.ca), qui permet aux chercheurs d’échanger de l’information précieuse avec des organisations des secteurs public et privé. Un tel effort collectif est unique et inédit. Il met en lumière l’expertise des universités, les partenariats de recherche à l’échelle du pays et les brevets universitaires disponibles.
Les gouvernements doivent choisir leurs investissements en vue de façonner l’avenir et de soutenir davantage de partenariats au sein des universités, des entreprises et des collectivités. L’accès à des connaissances et à une main-d’œuvre qualifiée est essentiel à la solidité et à la résilience de notre économie nationale. C’est un atout qui renforcera notre capacité à créer de la valeur et à nous sortir rapidement de cette crise.
Il est impératif de soutenir le rapprochement entre les gouvernements, les collectivités, les universités et les entreprises, comme le font les États-Unis, Israël, la Suède et l’Allemagne. La sortie de crise nous offre une occasion unique pour solidifier les ponts et pour repenser nos modèles.
Grâce à notre réseau diversifié de 96 universités canadiennes qui sont au service de leurs étudiantes et étudiants, de la recherche et de leurs collectivités, nous avons la possibilité de former, d’innover, de transmettre et de transformer, dans l’intérêt de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes. Nous avons aussi l’occasion de développer une réelle culture de l’innovation au Canada, de mettre de l’avant les innovants, de nourrir la fierté canadienne, d’être dans le peloton de tête et de faire connaître à l’international nos forces distinctives.
Sophie D’Amours est rectrice de l’Université Laval et présidente du conseil d’administration d’Universités Canada.